Le monde était notre ami

pasolini
Début des années 1970

[Rome, septembre 1964]

Chère Laura,

Tu dois certainement être héroïque pour accompagner Nino dans les magasins et lui acheter des vêtements, etc. :
mais la réalité, c’est que tu ne peux pas le supporter.
Sa présence absurde, indésirable, arbitraire, obtenue de lui si facilement, te blesse, je le sais. Et je te comprends. Tout ce qui est pour moi grâce est pour toi oeuvre du Démon – chez lui. Tu as compris que te rebeller revient à te frapper la tête contre les murs. Tout ce qui n’est pas avec la grâce (du bien ou du mal) est contre elle. Je dois dire que ces circonstances me rendent Nino encore plus précieux, parce qu’elles soulignent sa présence charismatique, sa fatalité.
Bon.
Quant au téléphone, en l’occurrence, non seulement tu as bien mérité que je te raccroche au nez, mais tu aurais mérité que je te frappe avec l’appareil sur la tête. Nous étions heureux, légers, en vacances enfin – peut-être pour la première fois de ma vie -, nous sentions que le monde était notre ami, Nino en prenant son bain s’était écrié que la vie est belle !

On peut également comprendre que, pour des raisons personnelles, une personne intervienne injustement, méchamment, dans une situation peut-être idiote, mais heureuse d’une autre personne : en lui faisant du chantage justement pour son bonheur idiot et pour la source, infime, de ce bonheur : je le comprends mais, pour l’instant, avec rage.
Demain je pars pour les Pouilles. On se verra à mon retour.
Salut.

Pier Paolo

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Excès de révision expérimentale

La superstition du réel chez Flaubert l’a mené naturellement à un processus de suppression constant dans son œuvre : comment pouvait-il jamais être sûr que chaque phrase ou chaque paragraphe n’en disait pas trop, et ainsi violait la réalité ? Proust, au contraire, peut sans cesse ajouter à son œuvre ; il découvre, que grâce à la mémoire créatrice de son narrateur, tout ce qui est étroit et appauvrissant peut, par la force de l’interprétation, être intégré à une vision de plus en plus ample du monde. Et il n’y a rien de naïf en cela. Des objets et d’autres êtres sont présents. Ils se heurtent à la conscience de Marcel, et il en souffre. Mais en admettant son impuissance à les contrôler et à les posséder, il trouve que l’obstacle de sa subjectivité lui donne une sorte de puissance : celle d’inventer et de réviser la signification des événements et, par excès de révision expérimentale, de faire entrer la réalité dans le domaine de son désir.
Léo Bersani
Déguisement du moi et art fragmentaire
Recherche de Proust, p.29
Editions du Seuil, an 1980

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Lumière du jour

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Le monde est rond

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Il était une fois…

2013-06-23 07.08.59

Permission de Minuit

Aventure

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Lumière du jour

2014-01-02
Le temps qu’il fait
Ce matin la boulangère me dit : il fait encore beau ! Mais chaud trop longtemps ! (les gens d’ici trouvent toujours qu’il fait trop beau, trop chaud). J’ajoute : et la lumière est si belle ! Mais la boulangère ne répond pas, et une fois de plus j’observe ce court-circuit du langage, dont les conversations les plus futiles sont l’occasion sûre ; je comprends que voir la lumière relève d’une sensibilité de classe ; ou plutôt, puisqu’il y a des lumières « pittoresques » qui sont certainement goûtées par la boulangère, ce qui est socialement marqué, c’est la vue « vague », la vue sans contours, sans objet, sans figuration, la vue d’une transparence, la vue d’une non-vue (cette valeur infigurative qu’il y a dans la bonne peinture et qu’il n’y a pas dans la mauvaise). En somme, rien de plus culturel que l’atmosphère, rien de plus idéologique que le temps qu’il fait. p.153
Roland Barthes par Roland Barthes

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Passage

2014-01-01 10.31.46
2013-12-23 17.24.11
2014-01-01 02.13.20
Réveillon à Saint-Jean-de-Luz.
Improbable jusqu’au bout cet an 2013.
Il fait doux, ça sent le printemps.
Bain ce matin à ErroMardi.
La lumière était belle, les vagues étaient magnifiques au loin, puissantes et vivantes, coefficient 100.
Je suis prête pour la suite.

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Voyageant de loin dans ma mémoire

duchesse
Symphonie en couleur chair et rose
1871-1873
James Abbott McNeill Whistler né aussi un 10 juillet comme M.P

C’est par ce supplément que le Palace n’est pas une simple entreprise, mais une œuvre et que ceux qui l’ont conçu peuvent se sentir à bon droit des artistes.
Proust aurait-il aimé ? Je ne sais : il n’y a plus de duchesses. Pourtant, me penchant de haut sur le parterre du Palace agité de rayons colorés et de silhouettes dansantes, devinant autour de moi dans l’ombre des gradins et des loges découvertes tout un va-et-vient de jeunes corps affairés à je ne sais quels circuits, il me semblait retrouver, transposé à la moderne, quelque chose que j’avais lu dans Proust : cette soirée à l’Opéra, où la salle et les baignoires forment, sous l’œil passionné du jeune Narrateur, un milieu aquatique, doucement éclairé d’aigrettes, de regards, de pierreries, de visages, de gestes ébauchés comme ceux de déités marines, au milieu desquelles trônait la duchesse de Guermantes. Rien qu’une métaphore en somme, voyageant de loin dans ma mémoire et venant embellir le Palace d’un dernier charme : celui qui vient de fiction de la culture. p.69
Mai 1978, Vogue-Homme, n°10
Roland Barthes
Incidents
Éditions du seuil
an 1987

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Je ne sais pas

2013-12-19 21.17.34
Ramadan : la lune apparaîtra bientôt. Il faut attendre encore une demi-heure pour faire l’amour : « Je commence à rêver. – Ça, c’est permis ? – Je ne sais pas. » p.45
1969
Roland Barthes
Incidents
Éditions du seuil
an 1987

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…mais comme on se souvient

02-04-13a
On me dira : vous ne parlez que du temps qu’il fait, d’impressions vaguement esthétiques, en tout cas purement subjectives. Mais les hommes, les rapports, les industries, les commerces, les problèmes ? Quoique simple résident, ne percevez-vous rien de tout cela ? – J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance, telle que l’histoire l’a faite. Cette histoire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise. Pour moi, ces trois composantes sont indistinctes ; la bourgeoisie, c’est pour moi la province, c’est Bayonne ; la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits. Ainsi, à l’âge où la mémoire se forme, n’ai-je pris des « grandes réalités » que la sensation qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses, des lumières, tout ce qui, du réel, est en quelque sorte irresponsable et n’a d’autre sens que de former plus tard le souvenir du temps perdu (tout autre fut mon enfance parisienne : pleine de difficultés matérielles, elle eut si l’on peut dire, l’abstraction sévère de la pauvreté, et, du Paris de cette époque, je n’ai guère d' »impressions »). Si je parle de ce Sud-Ouest tel que le souvenir le réfracte en moi, c’est que je crois à la formule de Joubert : « Il ne faut pas s’exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. » p.18
1977
[Je me souviens bien de celui qui a pris la photo,
Je me souviens bien de cette fête d’école,
Je me souviens bien de cet appareil qui marquait au fer orange la date.]
1977, l’Humanité
Roland Barthes
Incidents
Éditions du seuil
an 1987

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Et si les Modernes se trompaient ?

Au lit, le soir, au son de Casse-Noisette (donné pour illustrant la musique fantastique !), je poursuis un peu le dernier Navarre (mieux que les autres) et M/S (« ouais, ouais) ; mais ce sont comme des devoirs et, une fois ma dette un peu payée (à tempérament), je referme et reviens avec soulagement aux Mémoires d’outre-tombe, le vrai livre. Toujours cette pensée : et si les Modernes se trompaient ? S’ils n’avaient pas de talent ? p.80
Roland Barthes
Incidents
Éditions du seuil
an 1987

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Lumière-espace

2013-12-16 11.12.30
Mon second Sud-Ouest n’est pas une région ; c’est seulement une ligne, un trajet vécu. Lorsque venant de Paris en auto (j’ai fait mille fois ce voyage), je dépasse Angoulême, un signal m’avertit que j’ai franchi le seuil de la maison et que j’entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté, un palmier dans la cour d’une maison, une certaine hauteur de nuages qui donne au terrain la mobilité d’un visage. Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest, noble et subtile tout à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne luit pas), c’est une lumière-espace, définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l’autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu’elle donne à la terre. Je ne trouve pas d’autres moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Il faut la voir, cette lumière (je dirais presque : l’entendre, tant elle est musicale), à l’automne, qui est la saison souveraine de ce pays ; liquide, rayonnante, déchirante puisque c’est la dernière belle lumière de l’année, illuminant chaque chose dans sa différence (le Sud-Ouest est le pays des microclimats), elle préserve ce pays de toute vulgarité, de toute grégarité, le rend impropre au tourisme facile et révèle son aristocratie profonde (ce n’est pas une question de classe mais de caractère). A dire cela d’une façon aussi élogieuse, sans doute un scrupule me prend : n’y a-t-il jamais de moments ingrats, dans ce temps du Sud-Ouest ? Certes, mais pour moi, ce ne sont pas les moments de pluie ou d’orage (pourtant fréquents) ; ce ne sont même pas les moments où le ciel est gris ; les accidents de la lumière, ici, me semble-t-il, n’engendrent aucun spleen, ils n’affectent pas l' »âme », mais seulement le corps, parfois empoissé d’humidité, saoulé de chlorophylle, ou alangui, exténué par le vent d’Espagne qui fait les Pyrénées toutes proches et violettes : sentiment ambigu, dont la fatigue a finalement quelque chose de délicieux, comme il arrive chaque fois que c’est mon corps (et non mon regard) qui est troublé. p.15-16
1977, l’Humanité
Roland Barthes
Incidents
Éditions du seuil
an 1987

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Pratique

Mais ici, un instant, changeant de méthode, il propose au lecteur de « s’identifier » _ pour reprendre les termes de Longtemps je me suis couché de bonne heure* – avec l’auteur (lui-même) ; et, très précisément, avec « son désir d’écrire ».
« Je me mets dans la position de celui qui fait quelque chose : je n’étudie pas un produit, j’endosse une production ; j’abolis le discours ; le monde ne vient plus à moi sous la forme d’un objet, mais sous celle d’une écriture, c’est-à-dire d’une pratique ; je passe à un autre type de savoir (celui de l’Amateur)…** » p.7
*Le bruissement de la langue, p.313
**Ibid, p.325
Note de l’éditeur
Incidents
Roland Barthes
Éditions du seuil
an 1987

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Méthodologie

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2013-11-06 14.24.58
Peut-être qu’il pourrait commencer à se mettre à cette Vita Nova par petites touches, minces fragments au gré de l’inspiration, notations préliminaires… On verra s’il peut surmonter ce qu’il a toujours été, balloté entre l’attrait pour le langage expressif, et le travail critique. Sur le bureau tout est en place, la liasse de feuillets extra-strong en attente, format 21 x 29,7, et puis la machine à écrire, double carbone sur papier pelure, stylo bleu, crayon rouge pour additions, feutre noir pour suppressions, vert pour remarques en marge, de quoi agrafer ou scotcher les ajouts. Introduire le texte doucement, en rappelant ce qu’ont été l’essai, le fragment, amener la littérature comme initiation, déception, substitut d’amour, avec le divertissement (pascalien), l’absence de maître, préparer une rencontre… Et peu à peu glisser dans le texte l’oisiveté (neutre, tao, le « rien » philosophique »). p.91
Jean Esponde
Roland Barthes, un été (Urt 1978)
éditions confluences an 2009

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Animal

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Un vrai rendez-vous.
Des retrouvailles,
Des sensations, des émotions,
Le cinéma comme utopie malgré tout,
il y avait longtemps.
Un cheval, des buffles, des serpents, des poissons.

jia1
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Nietzsche qui s’effondre et son cheval sont là aussi.

Turin Horse
Son cheval de Turin.

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