Ciel, entre.

Puis, dans la langueur d’un dimanche soir, sept mois après l’avoir vu pour la dernière fois, elle trouva Obinze à la porte de son appartement. Elle le regarda fixement.
« Ifem », dit-il.
C’était une telle surprise de le voir, sa tête rasée, la douceur merveilleuse de son visage. Ses yeux avaient un regard pressant, intense, elle voyait sa large poitrine se soulever sous l’effet de sa respiration précipitée. Il tenait une grande feuille de papier couverte d’une écriture serrée. « J’ai écrit cette lettre pour toi. C’est ce que j’aimerais savoir si j’étais à ta place. Mes pensées. J’ai tout écrit. »
Il lui tendait le papier, la poitrine toujours haletante, et elle restait figée, sans chercher à le prendre.
« Je sais que nous pourrions accepter ce que nous ne pouvons être l’un pour l’autre, et même en faire la tragédie poétique de nos existences. Ou nous pourrions agir. Je veux agir, je veux que les choses arrivent. Kosi est une femme bien, et notre mariage se passait dans une sorte de contentement quotidien, mais je n’aurais jamais dû l’épouser. J’ai toujours su qu’il manquait quelque chose. Je veux élever Buchi, je veux la voir chaque jour. Mais j’ai joué la comédie pendant tous ces mois et un jour elle sera assez grande pour savoir que je joue la comédie. J’ai quitté la maison aujourd’hui. J’habite mon appartement à Parkview pour l’instant et j’espère voir Buchi tous les jours si je le peux. Je sais que tout cela m’a pris trop longtemps et je sais que tu avances dans la vie et je comprendrais parfaitement que tu hésites et que tu aies besoin de temps. »
Il se tut, fit un mouvement, et dit : « Ifem, je t’ai poursuivie et je continuerai à le faire jusqu’à ce que tu me donnes une chance. »
Elle le regarda longuement. Il disait ce qu’elle voulait entendre et elle continuait à le regarder.
« Ciel, dit-elle enfin. Entre. » p.684-685

Chimamanda Ngozi Adichie
Americanah
Editions Gallimard, an 2014

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