Sa démarche et son allure

fannyzaman

ooo– C’est précisément cela qui est blessant pour nous, dit Mme Boye. Ne sommes-nous pas suffisamment divines par nous-mêmes ? […]

oooElle s’était levée. Niels avait résolu de partir et cependant il restait là, tournant et retournant d’audacieuses pensées qu’il n’osait émettre. Enfin il s’enhardit jusqu’à lui prendre une main et y déposer un baiser. Elle lui tendit son autre main qu’il baisa également, et il ne put articuler que ce mot :
ooo– Bonsoir !

oooNiels était amoureux de Mme Boye et cela le rendait heureux.

oooLorsqu’il repassa par les rues où, un peu plus tôt, il avait erré, découragé, il lui sembla qu’il y avait de cela longtemps, bien longtemps. Sa démarche et son allure avaient pris de l’assurance et de la dignité.
Il boutonna ses gants avec soin et il avait, pendant cette opération, le sentiment qu’un grand changement s’était fait en lui et que c’était à cause de ce changement qu’il boutonnait ses gants avec tant de soin.

oooSes pensées l’occupaient trop pour qu’il fût possible de dormir : il monta sur les fortifications.
oooIl s’étonnait de penser avec calme et d’éprouver une sorte d’apaisement mais il ne croyait pas à la durée de cet apaisement. Dans le fond de son être il sentait une agitation, une fermentation incessante. Il était dans l’attente de quelque chose qui devait lui arriver de loin – une musique vague qui devait petit à petit devenir plus distincte, puis résonner avec force, mugir, s’emparer de lui, il ne savait comment, le soulever dans un tourbillon et l’emporter il ne savait où. Cela viendrait comme un flot tumultueux, et ensuite…

oooPour le moment, il était calme. Hors cette espèce de vibration lointaine, tout en lui était paix et clarté.

oooIl aimait. Il se dit à voix haute qu’il aimait. Il le dit bien des fois. Ces paroles avaient comme une dignité, une noblesse, et leur signification était grande. Il n’était plus soumis aux influences diverses de ses chimères d’enfant, il n’était plus le jouet de désirs sans but, de vagues rêveries : il s’était échappé de la forêt fantastique qui avait grandi autour de lui, où cent bras l’avaient tenu captif, où cent mains s’étaient posées sur ses yeux pour l’aveugler. Il avait secoué ce joug. Il s’était reconquis. p. 110-113

Jens Peter Jacobsen
Niels Lyhne
Roman Stock an 1928

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