elle est sous alexandrin


WHEN WE ARE SEARCHING FOR AN EXAMPLE OF WHAT WE NO LONGER HAVE, WE SEE IT EVERYWHERE

Marie se réjouit que Jean enfreigne ainsi la règle qui les interdit. Mais Jean ne résiste pas à ce souffle heurté, cette discontinuité qui déjoue les facilités mélodiques. C’est ce qu’il aime dans la langue française et que les autres n’ont pas, ce lit de voyelles rocailleuses que les hiatus révèlent dans les vers comme l’été dans le fond des rivières. Marie est encore meilleure que Du Parc parce qu’elle pousse les portes d’un autre monde, où l’on marche dans ses rêves, où l’on parle sous hypnose. Il s’amuse parfois en lui disant qu’elle est sous alexandrin. Il aime cette espèce de froideur qui la gagne et la fait entrer dans une mer gelée sans trembler. Il comprend en la regardant que s’il compose des vers, c’est certes pour être le plus grand poète de France, mais aussi pour capter cela, le son d’une conscience qui s’exprime à haute voix. Pleine, libre, parfois glaçante. Jean expérimente une nouvelle méthode de travail : il ne lui fait pas seulement reprendre dix fois de suite ce qu’elle trouve difficile, il la force également à reprendre ce qui lui vient aisément. Et quelque chose de nouveau advient, comme un automate au fond du corps de Marie. Son intuition lui dit que c’est de cette créature mécanique et répétitive qu’émanera le naturel le plus souple, le plus surprenant, le plus vrai.
oooAvez-vous senti remuer la machine en vous ?
oooOui.
oooDans ce cas, c’est parfait, passons à la suite.
oooElle est parfois si émouvante que Jean vacille, s’assoit, ne sait plus où il est alors même que ce sont ses vers. Il la regarde, interdit, et il applaudit, concentré sur l’incessant mouvement de ses paumes l’une contre l’autre, qui ventile sa présence, éloigne sa silhouette, ne la lui présente plus que morcelée, en tranches. Elle s’étonne, s’inquiète :
oooCe n’est pas ce que vous vouliez ?
oooSi, si et plus encore.

p.182-183
Nathalie Azoulai
Titus n’aimait pas Bérénice
P.O.L an 2015

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