J’ai manqué l’instant


oooLa joie était une chose, songeais-je avec humeur, et le plaisir en était une autre, et pourquoi celui-ci devrait-il invariablement se retirer au profit de celle-là ?
oooMais j’étais très jeune alors, je ne pouvais pas comprendre la Cheffe que jusqu’à un certain point qui me paraissait, à ce moment-là, ultime, et sur le chemin que mes vingt-cinq ans m’empêchaient de discerner au-delà de ce point je me suis engagé bien après, il s’est découvert à mes yeux, à mon pas qui acceptait, incertain, de tâter devant lui, et je me suis rapproché de la Cheffe avec retard, à une époque où elle avait renoncé à être entendue et secourue, ainsi j’ai manqué l’instant où je pouvais lui être nécessaire, je n’ai fait que lui être utile en lui apportant repos, soulagement, amour intense et jamais nommé. p.232
Marie Ndiaye
La Cheffe, roman d’une cuisinière
Editions Gallimard, an 2016

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