Jardin

2013-09-19 17.34.11
C’est donc Vous qui prenez les choses en main, Vous me menez vers une allée, jusqu’à la boule rose et cotonneuse d’un prunier en fleurs.
Où une chaise de jardin verte semble Vous attendre exprès.

Vous y prenez place, beau et blême, tandis que je cherche mon cadre dans un état d’agitation extrême. Emmitouflé dans votre grand manteau, un litre d’eau d’Évian dépassant de votre poche, Vous commencez à lire très lentement, avec beaucoup d’intensité. Derrière Vous un caniche noir décrit de grands cercles sur la pelouse en courant, mais je ne m’en apercevrai que plus tard, en montant le film. Pour l’heure, autour de Vous, rien n’existe d’autre que Gilberte et ses deux yeux de feu qui me transpercent, suivies de la fillette à la voix brève qui vient dans l’allée Vous appeler pour jouer aux barres. Vous êtes aux Champs-Élysées en janvier 1880, un des seuls jours où, lisez-Vous, Vous ne fûtes pas trop malheureux. On n’aime plus personne dès qu’on aime, dites-Vous avec une gravité que je croise pour la première fois dans Proust lu. Vous me bouleversez, vieil enfant surgi d’un autre jardin, d’un autre siècle, assis sous vos fleurs roses et mousseuses.
Plus tard Vous me dîtes que Vous êtes venu à l’aube enlever toutes les chaises de l’allée (toutes, sauf une, que Vous avez cachée) pour que les gens aillent s’asseoir ailleurs. À la fin, Vous dîtes : Je ne veux pas vous imposer ma tristesse plus longtemps et Vous vous éclipsez sur votre vélo. p.193
À la lecture
Véronique Aubouy
Mathieu Riboulet
Grasset, an 2014

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