Le vent revient toujours


– Tu l’aimes ? Demanda-t-il de sa voix sourde, après plusieurs minutes de silence.
Adamsberg haussa de nouveau les épaules, sans répondre.
– Je m’en fous que tu te taises, dit le Veilleux, j’ai pas sommeil. J’ai toute la nuit pour te poser la question.
– Quand le soleil se lèvera, tu me trouveras là, et je te la reposerai, jusqu’à ce que tu me répondes. Et si, dans six ans, on est toujours là, tous les deux à attendre Massart sous le prunier, je te le demanderai encore. Je m’en fous. J’ai pas sommeil.
Adamsberg sourit, avala une gorgée de vin.
– Tu l’aimes ? Demanda le Veilleux.
– Tu m’emmerdes avec ta question.
– Ça prouve que c’est une bonne question.
– Je n’ai pas dit qu’elle était mauvaise.
– Je m’en fous, j’ai toute la nuit. J’ai pas sommeil.
– Quand on pose une question, dit Adamsberg, c’est qu’on a déjà la réponse. Sinon, on la boucle.
– C’est vrai, dit le Veilleux. J’ai pas sommeil.
– Merde, le Veilleux. Elle n’est pas à moi. Personne n’est à personne.
– Finasse pas avec ta morale. Pourquoi tu la laisses aux autres ?
– Demande au vent pourquoi il ne reste pas sur l’arbre.
– Qui est le vent. Toi ? Ou elle ?
Adamsberg sourit.
– On se relaie.
– Ce n’est pas si mal mon gars.
– Mais le vent s’en va, dit Adamsberg.
– Et le vent revient, dit le Veilleux.
– C’est ça le problème. Le vent revient toujours
Le dernier verre avertit le Veilleux en examinant la bouteille dans l’obscurité. Faut qu’on se rationne.
– Et toi le Veilleux ? T’as aimé quelqu’un ?
Le Veilleux resta silencieux.
– Je m’en fous, dit Adamsberg. Je n’ai pas sommeil.
– T’as la réponse ?
– Suzanne, toute ta vie. C’est pour ça que j’ai vidé ta cartouchière.
– Fumier de flic, dit le Veilleux. p.257-258

Fred Vargas
L’homme à l’envers
Éditions Viviane Hamy, an 1999

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