l’Histoire qui revient comme réapparaît un fantôme

elle-foret
Vers cinq ou six heures, elle s’est réveillée, a ouvert les yeux. Le messager a dit qu’elle savait tout maintenant. Qu’elle n’oublierait rien. Elle avait appris ça de lui et c’était pour toujours. Comme quelque chose qu’elle avait en elle, une vérité qu’elle savait sans avoir jamais osé la demander à elle-même, la réclamer à elle-même. Oui, comme une vérité qu’on se doit tous à soi-même. C’était ce qu’il était venu chercher chez elle — ce qu’elle savait, ce qu’on avait toujours su. Lui ne pouvait rien vouloir d’autre. Il avait aussi appris d’elle. Ça il ne l’avait pas imaginé avant de la rencontrer. Il n’avait pas prévu d’apprendre autant d’elle, que, messager du souvenir, il ait son tour à recevoir un message venu des mêmes profondeurs, des mêmes oublis. Que son message n’ait pu passer jusqu’à elle qu’en recevant un autre message. Il a dit qu’il se sentait délivré du message qu’il portait.
A la fin de la nuit, ils ont quitté la maison ensemble, remonté la P. Strasse côte à côte, jusqu’à une voiture qu’il avait louée pour venir ici. Ils ont traversé Berlin et pris l’autoroute vers la Belgique. Elle ne lui a rien opposé. Elle l’a suivi simplement. Il ne lui a même pas demandé de venir avec lui. Ni l’un ni l’autre ne savaient où ils allaient. Ils partaient ensemble. Il y avait une raison à ça, probablement, mais ils l’ont oubliée immédiatement. On oublie toujours les raisons qui nous font tout quitter.
Il n’y a pas eu d’autres signes entre eux, pas d’autres réactions perceptibles, qu’un léger mouvement de tête, ou un clignement d’yeux, un soupir, marquant l’acquiescement définitif et absolu à leur histoire commune. p.112-113
Notre faute
Frédéric Boyer
P.O.L an 1997

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