Lui donner un orient


L’épistémologie du courage : une équation à trois entrées :
imaginatio vera — pretium doloris — vis comica

S’il fallait synthétiser l’épistémologie du courage, on pourrait chercher à articuler trois postures éthiques et de connaissance, trois manières de se tenir face au réel, trois mécanismes profonds qui diffèrent tout en gardant une force alchimique commune. Rappeler que le dire vrai, parrèsiastique, est littéraire, c’est s’inscrire dans le règne de l’imaginatio vera ou l’imagination vraie. Cette faculté est l’inverse de l’imaginaire et des fantasmatiques infantiles ou barbares. L’envers d’un surmoi déconstruit ou en perdition. A l’opposé d’un ça qui prendrait le pouvoir. A l’inverse, l’imaginatio vera est le pouvoir de ceux qui inventent le réel, qui font surgir l’événement. Les bachelardiens qui se réclament des poétiques de la matière, qui savent que la connaissance est toujours affaire de co-naissance, font l’épreuve de cette imagination noétique, créatrice et éthique. C’est autant la faculté qui schématise, produit les schèmes et les modèles, concentrés de principes et de valeurs. Quelque chose qui n’est pas exclusivement un concept. Un entre-deux. Henri Corbin l’avait rattaché au monde imaginal, ce monde aux confins du monde sensible et du monde intelligible, qui a pour but de concrétiser le spirituel et de spiritualiser le sensible. Non pas le monde des idées, mais celui des images principielles, des images de l’âme, qui la nourrissent et l’élèvent. Traditionnellement les poètes sont riches d’imaginatio vera. Mais Henri Corbin a su nous montrer que c’était également la faculté des chevaliers et des prophètes, ceux qui luttent pour un monde meilleur et ceux qui l’espèrent et l’anticipent. Définitivement une faculté de l’âme et du cœur, plus encore de l’esprit. La gageure de l’imaginatio vera : inventer le réel sans le fuir. L’orienter. Lui donner un orient, lui conférer un sens. Sans pour autant le dogmatiser ou le subsumer sous des synthèses inappropriées. p.88-90

Le courage ou la fécondité du hasard p.100

Le courage ou la volonté de la joie p.108

Cynthia Fleury
La fin du courage
Fayard, an 2010

Ce contenu a été publié dans Lecture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.