Lumière du jour

2014-01-02
Le temps qu’il fait
Ce matin la boulangère me dit : il fait encore beau ! Mais chaud trop longtemps ! (les gens d’ici trouvent toujours qu’il fait trop beau, trop chaud). J’ajoute : et la lumière est si belle ! Mais la boulangère ne répond pas, et une fois de plus j’observe ce court-circuit du langage, dont les conversations les plus futiles sont l’occasion sûre ; je comprends que voir la lumière relève d’une sensibilité de classe ; ou plutôt, puisqu’il y a des lumières « pittoresques » qui sont certainement goûtées par la boulangère, ce qui est socialement marqué, c’est la vue « vague », la vue sans contours, sans objet, sans figuration, la vue d’une transparence, la vue d’une non-vue (cette valeur infigurative qu’il y a dans la bonne peinture et qu’il n’y a pas dans la mauvaise). En somme, rien de plus culturel que l’atmosphère, rien de plus idéologique que le temps qu’il fait. p.153
Roland Barthes par Roland Barthes

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