Pur accroissement de soi

Cela, il pouvait en juger clairement quand il était en train de se rétablir. Non, ces moments n’étaient qu’un pur accroissement de soi — s’il avait fallu exprimer cet état par un seul mot —, d’une conscience de soi et, en même temps, d’une incompréhension de soi parfaitement concrète. Si à cette seconde, c’est-à-dire au tout dernier moment avant la crise, il avait pu avoir le temps de se dire d’une manière claire et consciente : « Oui, pour ce moment-là on peut donner toute sa vie ! » alors, bien sûr, ce moment, en lui-même, aurait valu toute une vie. Du reste, il n’insistait pas sur la partie dialectique de sa conclusion : l’abrutissement, la nuit spirituelle, l’idiotie se dressaient devant lui comme une conséquence claire de ses « minutes supérieures ». Sérieusement, bien sûr, il ne se serait pas mis à contester. Dans sa conclusion, c’est-à-dire dans son appréciation de cette minute, il y avait, sans l’ombre d’un doute, une erreur, mais la réalité de la sensation, malgré tout, le troublait quelque peu. Car que pouvait-il faire, réellement, de la réalité ? Car c’était bien ce qui se passait — lui-même, il avait bien le temps de se dire à cette seconde précise que, cette seconde, par le bonheur sans limites qu’il y ressentait avec une telle plénitude, elle pouvait bien, vraiment, valoir toute une vie. p.376
L’idiot
Dostoïevski
Babel an 1993

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