latence de l’indice


oooCette légalité non humaine, que les religions avaient capturée avec un mélange de ruse et de candeur, elle est aujourd’hui comme flottante. Mais c’est du sein de ce flottement même que les choses nous envoient des échos, et je pense au régime de l’indice, qui se pose dans la parution comme un déplacement de la signifiance vers elle-même. Lorsqu’un objet devient indice, il ne le peut qu’en échappant, d’une part, au régime plat de la signifiance et, d’autre part, au régime de signification qui lui est assigné. En devenant indice, l’objet s’extrait tout à la fois de son sommeil et de son éveil aux ordres : il se réveille ailleurs, dans un autre régime, où la signifiance est comme montée d’un cran. Tout en basculant vers le sens, elle demeure signifiance, rayonnement du « pas encore » en « peut-être » qui redouble et surhausse la présence. Sans doute dans le roman policier, qui est le territoire le plus fréquent de l’indice, cette évasion de la signifiance est-elle vite rabattue par la logique de dénouement, qui transforme l’indice en instrument de la déduction. Mais ce qui compte, c’est ce battement momentané de l’évasion, qui est comme une diction propre à l’objet, ou comme l’aura de sa singularité. Or ce que je propose, c’est que le régime de l’indice, de la latence de l’indice, soit généralisé, c’est que chaque objet, indépendamment de toute instrumentalisation narrative, puisse être considéré comme indice, comme écho : signe ou voix, non d’un dieu, mais écho embouti dans sa source annonçant silencieusement au monde ( et aux hommes qui s’y trouvent) qu’il y a monde et que la parution infinie ne se borne pas à être une simple accumulation mais qu’elle est, dans le plein sens des termes, et hors de toute guichetterie humaine, réception, livraison, délivrance. p.17

jean-christophe bailly
l’élargissement du poème
« Vers la sortie »
Christian Bourgois éditeur, an 2015

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