Les mots que je m’apprête à prononcer ici ont leur volonté bien à eux

Proust_manuscrits

walser

Les mots que je m’apprête à prononcer ici ont leur volonté bien à eux, ils sont plus forts, plus puissants que moi, et je crois bien qu’ils ont envie de dormir, ou qu’il leur plaît de ne pas être ce qu’ils sont, comme s’ils pensaient que coïncider avec eux-mêmes manquait de sel, et inutile de les réveiller, ils ne réagissent pas à mon : « Debout !» p.52

… ceux qui n’ont même pas encore appris à devenir ignorants, et que l’idée n’a même pas effleurés jusqu’ici qu’ils se distinguent par une éblouissante absence d’idées, ceux qui souvent, ne craignent pas d’afficher une distinction colossalement peu distinguée, ceux qui n’ont aucune idée de la naissance de l’intellect, du beau souhait qu’il puisse n’avoir jamais vraiment commencé à vivre, ceux enfin que l’on ne peut presque pas convaincre qu’on a entrepris ici la tentative curieuse et pas totalement inintéressante d’exprimer quelque chose au moyen de quelque chose qui ne dit rien, de dissoudre l’intelligible, comme si peut-être, cette tentative était la Mélancolie qu’a conçue Dürer, avec sa main posée sur le globe. p.55

Robert Walser
Le Territoire du crayon
Microgrammes
Editions Zoé, 2013

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