Mais il faut savoir chanter — Rien n’est plus difficile que la surprise

L’élément dominant du chant, c’est la surprise, et rien n’est plus difficile que la surprise, que la prise qui surprend. Quand cela advient, c’est comme un miracle, et c’est un miracle parce que ça ne vient de rien, d’aucune intention, d’aucune instance, d’aucun sommet, d’aucun domaine réservé.
oooIl y aurait encore tant à dire, je le ressens, mais je sais aussi que je dois finir, et je le ferai donc par l’un de ces miracles : des vers que j’ai retrouvés récemment, que j’avais notés sur un bout de papier placé et oublié dans un livre n’ayant rien à voir avec celui d’où ils provenaient. Ces vers sont de Wallace Stevens, ils figurent dans un poème intitulé An Ordinary Evening in New Heaven et ils donnent une définition de ce qu’est le réel. Cette définition est l’une des plus subtiles que je connaisse, et d’abord parce qu’elle est dénuée de toute brutalité : « It may be a shade taht traverses / A dust, a force that traverses a shade. » Une ombre qui traverse une poussière, une force qui traverse une ombre.
oooCes vers, je ne les commenterai pas. Je dirai simplement qu’avec l’ombre, la poussière et la force, nous avons peut-être, sous d’autres noms, plus simples et plus directs, les éléments du poème — son écho, son chant, son action. p.73

jean-christophe bailly
l’élargissement du poème
« Un chant est-il encore possible ? »
Christian Bourgois éditeur, an 2015

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