Toujours là


A passer ainsi continûment le couteau parmi les termes de la langue pour ouvrir de l’écart entre eux et leur donner à se réfléchir en leur offrant un vis-à-vis, on ne saurait arrêter là le soupçon. Sous le sens les plus voisins, ne se dissimulerait-il pas déjà quelques fissures conduisant à les opposer ? A preuve l’équivoque et l’ambigu qui sont tenus pour synonymes et qu’on glose d’ordinaire l’un par l’autre, sans plus y penser. Or je crois qu’il serait bon de retourner ces synonymes en antonymes pour en dissoudre précisément l’équivoque. Il y a « équi-voque » quand, dans ma « parole », je maintiens « à égalité » deux sens qu’il faudrait distinguer l’un de l’autre pour arrêter le quiproquo et ne plus entretenir de confusion pénalisant la pensée. Or l' »ambigu » désigne le phénomène exactement inverse : il fait apparaître sous les séparations instituées par le langage une inséparabilité foncière que la distinction de nos termes tend à masquer. L’équivoque nomme donc un usage vicié dont il faut purger la parole par les dissociations à faire au sein d’un même terme ; tandis que l’ambigu nomme au contraire une indissociabilité de fait (dans l’Etre, le « réel » ou ce que je préférerai nommer plus résolument l’effectif) que nos démarcations langagières ont recouverte et nous font rater. FJ p.165 et aussi p.167

Ce contenu a été publié dans Général, Lecture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.